mardi 9 mars 2010

…de la déresponsabilisation en détention.

…de la déresponsabilisation en détention.

Villefranche sur Saône, le 09-02-2010

Oier:


Chére A.:

Il est 10:.30 et à cette heure je devrais être à l’Atelier de production vidéo, mais il est évident que je suis ici bloqué à l’intérieur de la cellule, pour des raisons que j’ai mal à comprendre…mais va comprendre LEURS raisons. Je suis énervé et comme chaque fois que j’ai ce sentiment qui me serre la gorge, je prends la plume (bon, cette fois-ci je devrais dire le clavier).

Comme accordé avec la Direction de la M.A., je ne peux pas y aller à l’Atelier,puisque aujourd’hui c’est le tour de I. (compagnon basque). Il résulte que lui a réussi de se faire accepter au magazine de taule, chose que je trouve certainement formidable (ce moi qui l’avais encouragé d’essayer). Comme il est inscrit là-bas il ne viendra plus à l’Atelier, donc quelqu’un pourrait dire que le faite que je sois assis devant mon ordinateur et pas sur celui du Production Vidéo est la conséquence des circonstances non voulues par les gérants de la pénitentiaire. Je ne suis pas si sûre que ça.

La semaine dernier j’ai eu une réunion avec l’assistante sociale et l’intervenant extérieur de l’Atelier. Ils m’avaient proposé de m’investir encore plus en étant l’”auxiliaire vidéo” (c’est celui qui gère le canal interne de la télé où on édite nos prods) mais la Direction avait refusé leur proposition (ne t’inquiètes pas, je ne vais pas développer ici les grandes lignes d’un quelconque complot contre les détenus basques). Franchement le refus ne m’a pas étonné du tout, ça faite quatre ans déjà que je tourne dans ce sous-monde qui sont les prisons français, j’ai eu le temps pour commencer à voire la logique de l’institution (même s’il à toujours de quoi s’étonner – pour la plupart des cas négativement-). Mais une chose est d’apercevoir la logique et un autre d’accepter. Ce n’est pas seulement que je ne peux pas être auxiliaire, deux basques ne peuvent pas participer ensemble au Atelier. (¡!??). Avant qu’I. puisse intégrer le magazine nous étions tous les deux inscrits au Vidéo et chaque semaine un des deux participait. Petit hic de l’histoire si l’un ne pouvait pas y aller l’autre restait de même en cellule…un tour donc perdu à l’Atelier. La semaine dernière j’avais proposé de nous mettre tous les deux dans la liste, et que nous deux allions gérer notre présence à l’Atelier. Nous avions bien compris que la Direction ne voulais pas qu’on sois ensemble au vidéo (une attitude plutôt insensé puisqu’on est ensemble à la promenade, sport, école, bibliothèque, parloir…sois partout sauf à l’Atelier). Donc sur la base de cette décision nous pourrions avoir géré notre participation, en étant tous dux inscrits, en cas où un des deux aurait un autre compromis (comme ça à été souvent le cas, notamment à cause des parloirs du jeudi) l’autre pourrait y aller.

Je trouve que la responsabilisation de l’individu reste une part importante de son développement en tant que tel. Au tours de notre parcours vital, nous cumulons une série de compromissions qu’il faut assumer, cette assomption entrain certains contraintes (se lever tôt pour aller au boulot par exemple) qui façonnent notre identité. On peut dire que nous arrivons à notre âge adulte quand nous assumons la responsabilité totale de nos actes (c’est ainsi quand nous parlons des lois n’est ce pas ?). Pour moi il s’agît là des évidences, des vérités qui se heurtent contre les murs de la prison, puisque du moment que nous franchissons la porte (en tant que détenus) nous rentrons dans une dynamique de déconstruction personnelle. La déresponsabilitation du détenu, donc son infantilisation, il y est pour quelque chose. Nous décidons de moins en moins sur notre vie et nous sommes forcés à assumer une logique d’assistanat très convenable pour l’Administration. Plus on est assistés moins on a envie de s’insurger, ou au minimum de rouspéter, devant une décision arbitraire.

La vie ne s’arrêt pas aux portes de la prison, donc notre développement personnel non plus. La plupart des gens qu’arrivent ici sont en rupture avec la société, les raisons sont multiples (psychologiques, sociales…) le constat est le même. En lieu de court-circuiter cette désocialisation, la prison aliène encore plus l’individu. Nous sommes coupés de nos liens affectives, l’accès à une éducation reste un parcours de combattant, de la sexualité ne parlons pas… Je viens de nommer dans cette dernière phrase des vecteurs importants pour la construction d’une identité et al socialisation de la personne, que devraient être facilités ou au moins respectés, ici au contraire ils sont au contraire ils sont carrément bafoués. Quand je parlais de nous laisser gérer notre participation à l’Atelier, je me referais justement à nous laisser prendre la responsabilité du dite participation. Être responsable pour tout simplement « être », la seule conscience de ce faite me prémunis du travail de sape mené par l’Institution Pénitentiaire. Je me sens moins en rupture avec les autres, ou ma rupture avec la société est avant tout politique. Mais le besoin du développement personnel (plutôt culturel et intellectuel) reste intact en moi, c’est justement une des raisons pour laquelle je me suis inscrit à l’Atelier vidéo.

Eh bien dis donc !... il est déjà midi passé et la chronique de mon humoriste préféré (Didier Porte) va commencer sur France-Inter. Peut-être ces quelques lignes ne seront pas de grande utilité mais pianoter sur le clavier restera une exercice fort relaxant pour moi. Et ouais ! Il faut se procurer tous les moyens possibles pour rester Zen dans cette antre débordante d’hystériques de la sécurité.

Cordialement

Oier Gonzalez Bilbatua.

P.S. : Pour finir voici quelques mots de Victor Serge, il les avait écrit au début du siècle dernier, comme quoi la situation n’a pas évolue.
« En elle-même la prison française, régie par d’antiques règlements, n’est qu’une absurde machine à broyer les hommes. On y vit dans une sorte de folie mécanisée ; tout semble y être conçu par un esprit sordidement calculateur de façon à abêtir, à aveulir, à empoisonner d’une rancune sans nom le condamné, auquel la machine tend visiblement à rendre impossible le retour à une vie normale. »

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